La parenthèse enchantée...

Publié le par Alex Taurel

oeil

Il en fut donc ainsi. Près de trois mois de handicap visuel. Un handicap visuel vous handicape plus que de visu.
Trois mois après l'accident, l'incident, la catastrophe, l'épreuve.
Il y a plusieurs manières de qualifier ce qui m'est arrivé le 6 décembre 2009...
Un coup du sort ? Un terrible manque de bol ? Un concours de circonstances ? (ça aurait bien était la première fois que je gagne un concours...) Une épreuve nécessaire ? Une expérience bénéfique ?

Question probabilité je fus servi. En effet, à vos calculs.
Sur un terrain de foot se rencontre 2x11 hommes (plus 2x3 remplaçants), ce qui offre un total de 28 personnes, et donc de 56 yeux. Sur ces 56 yeux, un seul d'entre eux était fragile, le mien...
Mais il était protégé par des lunettes. 1 œil fragile sur 56 fut touché, le mien...
Libre à vous de qualifier cet accident désormais...

Il n'empêche, en ce matin du 1er mars 2010, il est 5h40 quand je prends la route pour ma très chère et chère (oui c'est pas donné les yeux) clinique Monticelli pour réparer ce qui fut causé par cette très faible probabilité.
 Le chemin me procure la même sensation que celui que je prenais étant lycéen. Toujours le même. Et pour cause, en un an, je l'ai emprunté près de vingt fois...
Il est 7h lorsque j'y arrive. Les gestes sont connus: administration, chambre, enfilage d'une espèce de tenue bleu en sorte de papier crépon, gouttes dans l'œil, Lexomil, attente, sourire, personnel accueillant...
Je ne suis même pas anxieux, et ce n'est pas que la résultante du Lexomil. Non...
Plutôt l'habitude, l'expérience, la confiance en mon chirurgien et en mon corps.
Et un apaisant recul qui me fait penser que tout ceci n'est que du bonus. Il y a trois mois, au début de cette parenthèse handicapante dans ma vie, j'ai cru devenir borgne, alors pouvoir prétendre revoir aujourd'hui, est un bonheur certain.
Je laisse filer les minutes qui me rapprochent de la fermeture de cette parenthèse, je laisse glisser les rituels chirurgicaux...
Là, dans cette salle où l'on m'installe le cathéter, sur le brancard d'à côté, une jeune fille de 8ans. Elle pleure, sans doute apeurée par l'inconnu. Les infirmiers, assistants, et autres anesthésistes s'affèrent autour de nous. La gamine est inconsolable. Ça me fait sourire.
Elle dit des phrases sans queue, ni tête en baragouinant de manière inaudible...
Elle se retourne vers moi, je lui souris :
- "T'inquiètes pas, ça va aller" lui glissais-je avec conviction en la voyant s'envoler vers son bloc opératoire...Le son de ses larmes devient muet.
Mon brancard arrive à son tour à bon port. J'ai l'impression que dans ce bloc opératoire on est vraiment dans un port de Bretagne en plein hiver, genre Brest ou Saint Malo, tant il y fait froid.
Les préparatifs à mon anesthésie se font sous mes yeux sereins. Une personne entre dans le bloc et s'écrie :
- "Ahhh c'est monsieur Taurel !!!! "
-"Ahhh c'est lui ?!!! " reprennent le reste des personnes autour de moi...

En effet lors d'un précédent article, j'avais fait une allusion au sujet du personnel de la clinique en précisant que ce n'était pas grâce à leur physique que les infirmières m'avaient soulagées...Tout ça sur le ton humoristique et dans le but de casser un cliché. Bref, la phrase avait été mal comprise par l'assistante de mon chirurgien qui était tombée dessus en lisant par hasard mon blog,  et elle prit un malin plaisir à répandre au sein de la clinique, l'insolence de mon écrit.

- "Alors expliquez nous ça Monsieur Taurel ?!!! "
Je m'exécute tandis qu'on m'harnache au brancard...
- "Ahhh c'était de l'humour...on n’avait pas compris..." entonne l'une d'entre elles.
- " Bah c'est très bien, nous on ne va pas vous endormir..." conclue  l'anesthésiste tout en me souhaitant bonne nuit...
- " Merci, vous aussi..." ai-je seulement le temps de répondre avant de m'envoler dans les profondeur des songes sans souvenirs...
.
Une parenthèse de trois mois dans ma vie. Trois mois de handicap.
Trois mois sans pouvoir être autonome, à toujours être entre deux, trois domicile pour me faciliter la vie, trois mois à devoir toujours prévoir à l'avance, trois mois à se sentir mal à l'aise de rentrer dans un endroit public, trois mois pendant lesquels il est fort probable que j'ai "ignoré" des gens, trois mois à lutter pour lire, regarder la télé et des séries sous-titrées, trois mois où c'était un calvaire de distinguer mes jeunes joueur et aussi mes co-équipiers, trois mois loin du rectangle vert, trois mois à ne plus rien retrouver chez moi, trois mois à ne même pas s'apercevoir qu'une toile d'araignée s'était tissée dans le coin de mon salon, trois mois à ne pas distinguer que la poussière s'accumule, trois mois à être un légume, trois mois à me faire vanner (mais ça j'aime bien...).
Trois mois à craindre, espérer, rêver, attendre, faire des allers-retours à la clinique, à y croire, à se désespérer, à craquer, à ne pas le montrer, à apprendre la patience, à être soutenu, trois mois à s'en rendre plus fort pendant des années, trois mois à grandir alors que je n'ai pas pris un centimètre...

Trois mois...un handicap...une parenthèse...
Paradoxalement, c'est pendant ces trois mois que j'ai rencontré la personne qui me donne le sourire...
Paradoxalement, c'est pendant ces trois mois que j'ai écrit mes textes qui ont donné le plus d'émotion...
Paradoxalement, c'est pendant ces trois mois que je me suis le plus apaisé...
Paradoxalement, ces trois mois furent une parenthèse enchantée qui j'espère et j'aspire, se poursuivront sur trois points de suspension...

Je suis allongé sur un lit qui n'est pas le mien. D'abord c'est un lit une place et puis mon lit est beaucoup moins rigide. Mes yeux sont fermés. Je n'ai pas envie de les ouvrir. Au loin j’entends des portes qui s'ouvrent, des noms de personne, des discussions, des pages de magazine qui se tourne, des "pffff"...
Ah non, ça ce n'est pas loin.
Ça, c'est dans ma chambre, mon père feuillète surement un Voici de ma mère qui est elle, en train de papoter avec tout ce qu'elle pourrait trouver pourvu d'une bouche et d'oreilles dans les environs.
Je me rendors...
Sûrement quelques heures plus tard, je suis réveillé par la chaleur du soleil transperçant la vitre de ma chambre de clinique. J’ouvre un œil. Le non-opéré. Je sens que j'ai un cache sur l'autre, et qu'il suinte jusque sur ma joue. C'est une sensation dégueulasse, mais normale, étant donné qu'on l’a charcuté.
Je demande à ma mère un mouchoir pour m'essuyer la joue. Je somnole encore quelques minutes, m'habituant peu à peu à ma remontée de ce "mini coma artificiel" qu'est l'anesthésie.
Je clignote de l'œil opéré, je n'ai pas trop de douleur. Je commence à avoir le sourire au fond de moi, car je sens que ma vue est revenue, mais je me garde bien d'en faire part à mes parents par superstition.
Le chirurgien arrive, annonce que tout s'est bien passé, et qu'il me reverra demain pour enlever le cache et vérifier le travail...
Narrer le reste de ma journée n'aurait pas grand intérêt pour moi, comme pour vous, pour la simple et bonne raison qu'elle a flirté entre sommeil et coups de téléphone.

Me revoilà donc le lendemain, à Marseille...tourner à la Rue Paradis, passer devant le square Monticelli et toutes ces belles villas qui abritent pour la plupart des ambassades étrangères et se garer devant la clinique...MA clinique Monticelli.
Je pourrais presque rentrer et faire un bisou à tout le personnel.
Pour une fois, je ne vais pas attendre. Il est 13h30 quand le professeur Baïkoff me fait pénétrer dans son bureau par un "allez, assis toi garnement".
Il lève ce cache et là, comme par magie, tout se redessine sous mes yeux, ou plutôt tout s'efface. Plus d'accident...tout est revenu. Je vois....
Oui je vois. Ça m'en ferait presque bander.
Je cache ma joie (par superstition...) devant lui et ma mère. Il est satisfait de son boulot. Je ne reste en tout et pour tout que 10mn dans son bureau et je repars avec mon ordonnance pour mon traitement à suivre pendant 15 jours, et mon sourire intérieur.
Sur le trajet du retour, assis, euh allongé, ou plutôt affalé sur la banquette arrière de la voiture de ma mère qui me ramène à Hyères, j'ai cette réflexion:
Je suis un homme bionique... Mon œil droit comporte un greffon et un implant... (On m'a d'ailleurs donné à la clinique, une carte à ranger dans mon portefeuille, pour certifier que je porte un implant...Vous saviez qu'on en avait une vous ?)...
Je suis Steeve Austin, je suis l'homme qui valait 3 milliards de la série à succès des années 80'...
Enfin à moindre coup...
Quoique, mes parents pourraient bien me surnommer "L'homme qui valait Trois mille balles"


Publié dans Actu allités

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L
<br /> tjs un plaisir de te retrouver et de te lire. un petit apero pour feter tous ca serait bienvenue histoire de boire un coup a l'oeil!!!!! bises toto<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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W
<br /> Très bel article Toto en éspérant vite te revoir récupérer des ballons dans les pieds de tes adversaires au Guillaumont Stadium!!<br /> <br /> <br />
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I
<br /> Je me retrouve dans ton texte, bien que ce ne soit pas pour la meme raison... je sais que tu me comprends et que tu me soutiens tout comme je te soutiens... tellement heureuse pour toi mon ptit<br /> Toto!!! bisous<br /> <br /> <br />
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F
<br /> J'aime ce que tu écris, c'est profond, ancré dans la réalité, plein d'humour et d'autodérision. J'aime apprendre à te connaître malgré les années qui nous ont séparées. C'est plus intime et plus<br /> profond que les rares discussions que nous avons eu. Et j'aime ça...<br /> <br /> <br />
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E
<br /> émouvant et hilarant, j'ai bien aimé cela Monsieur Alex Bionik taurel<br /> <br /> <br />
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